J'avais pris notre voiture, j'allais au château de Saint-Denis faire un paysage. Proche de Maizières, je m'arrête pour considérer deux hommes cassant des pierres sur la route. Il est rare de rencontrer l'expression la plus complète de la misère. Aussi sur-le-champ m'advint-il un tableau. Je leur donne rendez-vous pour le lendemain dans mon atelier et depuis ce temps j'ai fait mon tableau. [...] Là est un vieillard de soixante-dix ans, courbé sur son travail, la masse en l'air, les chairs hâlés par le soleil, sa tête à l'ombre d'un chapeau de paille. Son pantalon de rude étoffe est tout rapiécé, puis, dans ses sabots fêlés, des bas qui furent bleus laissent voir les talons. Ici, c'est un jeune homme à la tête poussiéreuse, au teint bis, sa chemise dégoûtante et en lambeaux lui laisse voir les flancs et les bras. Une bretelle en cuir retient les restes d'un pantalon et les souliers de cuir boueux rient tristement de bien des côtés. Le vieillard est à genoux, le jeune est derrière lui debout, portant avec énergie un panier de pierres cassées. Hélas, dans cet état c'est ainsi qu'on commence, c'est ainsi qu'on finit! Par-ci, par-là est dispersé leur attirail, une hotte, un brancard, un fossoir, une marmite de campagne, etc. Tout cela se passe au grand soleil, en pleine campagne, au bord du fossé d'une route. Le paysage remplit la toile.
Cf. G. Courbet, «Lettre à Francis et Marie Wey» (26 novembre 1849), in Correspondance de Courbet (1996): 81-82.