Félix Fénéon : La critique de l'impressionnisme

«Dès l'origine, le mouvement impressionnisme se particularisa par la recherche de vives luminosités naturelles, la notation la plus complète des réactions des couleurs, une observation exclusive et plus stricte de la vie contemporaine. Ce programme appelait une facture spéciale. On proscrivit les bitumes, les terres de momie, tous les funèbres ingrédients de l'École et de la tradition ; mais on ne répudia pas les mélanges sur la palette, ou, si l'on décomposa le ton, on le fit de façon quelque peu arbitraire et à libres touches; pour les besoins de la cause, on déclara qu'au recul les couleurs se fondaient en moelleux ensembles; mais trop souvent c'était là une affirmation gratuite. On peignit par larges empâtements; les toiles se bosselèrent comme plans en relief. On mit à profit les roueries coutumières; le jeu de la main varia avec l'effet à reproduire : il eut pour des eaux des glissements et le sillon des poils dans la pâte ;il fut circulaire pour bomber les nuages, roide et preste pour hérisser un sol; on ne renonça pas aux hasards heureux de la brosse, aux trouvailles fortuites de l'improvisation. [...] Ce fut, en somme, la cuisine des maîtres de l'impressionnisme, et les résultats étaient à souhait pour séduire les plus réluctants».

Extrait de : Félix Fénéon, «L'impressionnisme scientifique», in Au-delà de l'impressionnisme, ed. F. Cachin, Paris, Hermann, 1966, p. 74.