La peinture néo-impressionniste

«L'innovation de M. Seurat, implicitement contenue déjà dans telles oeuvres de M. Camille Pissarro, a pour base la division scientifique du ton. Voici : au lieu de triturer sur la palette les pâtes dont la résultante fournira à peu près la teinte de la surface à représenter, — le peintre posera sur la toile des touches figurant la couleur locale, c'est-à-dire celle que prendrait ladite surface dans la lumière blanche — (sensiblement la couleur de l'objet vu de très près). Cette couleur qu'il n'a pas achromatisée sur sa palette, il l'achromatise indirectement sur la toile, en vertu des lois du contraste simultané, par l'intervention d'autres séries de touches, correspondant :
1. À la portion de la lumière colorée, qui se réfléchit, sans altération, sur la surface — (ce sera, généralement, un orangé solaire).
2. À la faible portion de la lumière colorée qui pénètre plus loin que la surface et qui est réfléchie après avoir été modifiée par une absorption partielle.
3. Aux reflets projetés par les corps voisins.
4. Aux complémentaires couleurs ambiantes.
Touches qui s'effectuent non par un sabrage au pinceau, mais par l'application de menues taches colorantes. De cette manière d'opérer, voici quelques prérogatives :
I. Ces touches se composent sur la rétine, en un mélange optique. Or, l'intensité lumineuse du mélange optique est beaucoup plus considérable que celle du mélange pigmentaire. C'est ce que la physique moderne exprime en disant que tout mélange sur la palette est un acheminement vers le noir.
II. Les proportions numériques des gouttes colorantes pouvant, sur un très petit espace, varier infiniment, les plus délicats glissements de modelé, les plus subtiles dégradations de teintes se peuvent exactement traduire. III. Cette maculature de la toile ne suppose aucune adresse manuelle, mais seulement — oh! seulement — une vision artiste et exercée.

Le spectacle du ciel, de l'eau, des verdures varie d'instant en instant, professaient les premiers impressionnistes. Empreindre une de ces fugitives apparences sur le subjectile, c'est le but. — De là résultaient la nécessité d'enlever un paysage en une séance et une propension à faire grimacer la nature pour bien prouver que la minute était unique et qu'on ne la reverrait jamais plus. Synthétiser le paysage dans un aspect définitif qui en perpétue la sensation, à cela tâchent les néo-impressionnistes.

Extrait de : «Définition du néo-impressionnisme» (1887), in Félix Fénéon, Au-delà de l'impressionnisme, ed. F. Cachin, Paris, Hermann, 1966, pp. 91-92.